Chronique des Mondes Emergents

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Ce siècle est à la barre et je suis son témoin. Victor Hugo [L'Année terrible (1872)]

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    L'Etat, le plus froid des monstres froids

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    Messages : 123
    Date d'inscription : 12/05/2014

    L'Etat, le plus froid des monstres froids Empty L'Etat, le plus froid des monstres froids

    Message par Admin Jeu 12 Juin - 15:31

    Paule Orsoni
    Contribution à "Le Canari du nazi - Essais sur la monstruosité"
    ouvrage collectif sous la direction de Michel Onfray

    L'éducation est donc cette entreprise de dénaturation, puisqu'elle suppose la transformation d'un état premier considéré comme insuffisant en un autre, tout relatif et généralement institutionnalisé. Or cette dénaturation porte en elle un caractère problématique, puisque la poire dénaturée est ainsi mal considérée mais que l'homme éduqué est bien vu.

    L'Etat, le plus froid des monstres froids Enseig10
    (Crédit photo: www.lecese.fr)

    L'Etat, si nous en donnons rapidement une définition, est cette instance ayant pour fonction de nous protéger de notre propre violence. La violence que les individus exercent les uns contre les autres est le socle même de la nécessité de l'établissement de l’État et justifie sa fonction. (...) "Nous" sommes devenus l'Animal essentiellement politique, réalisant par là une situation antinomique, à tel point que la politique ne peut que tuer l'humain en l'homme parce que l'animal en nous est atteint dans son instinct, une sorte de double peine et de réduction tragique nous frappent. Éternel débat entre l'instinct et l'Institution, unis par un mariage de raison, qui se joue là dans l'Individu même et qui aboutit à cette dénaturation. Qu'est-ce que l’État alors? La "mort des peuples", purement et simplement.
    Et dans l'individu, celle de sa part instinctive. L'Etat, qui est l'effet de la rationalisation de la vie sociale et qui est censé régler les relations interhumaines, devient l'instrument de la mort, ce dérèglement absolu, et cette mort équivaut à l'affaiblissement radical de l'instinct, cette "Grande Raison". Son essence repose sur la négation - de la Vie. Ce monstre froid, "le plus froid de tous les monstres froids", est une véritable machine à tuer: nous voilà alors rendus à l'état cadavérique. (...) Nul ne paraît épargné. Comment croire que "l’État est le peuple", sauf à abandonner en soi tout esprit créateur et se mettre au service de la cause mortelle plutôt que de "servir la vie"?
    Cette cohorte de fatigués accomplit la mission de l’État qui évoque et convoque le Bien, et lorsqu'on nous demande de quoi nous serions fatigués, nous devrions répondre que nous sommes fatigués de la vie. L'Etat serait ce lieu de perdition qui "ment dans toutes les langues" alors que "chaque peuple a son langage du bien et du mal", d'où le caractère falsificateur et le "voleur" de la nature et de la fonction étatiques.
    On notera que la nature de l’État est sa fonction: l’État est ce qu'il fait, il donne la mort. (...) L'Etat ment froidement et délivre un discours mensonger, alors il divise. (...) Le plus grand mensonge étant de laisser croire que l’État est le peuple alors qu'il n'en est que sa négation, à défaut même de le représenter puisque "partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’État et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois." Aux sources de l’État, il y aurait l'abandon de certaines prérogatives des "peuples" et donc une Institution qui naîtrait par défaut.

    "Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou", dira Nietzsche.

    Miroir aux alouettes, l’État devient cette matrice qui prétend "tout vous donner si vous l'adorez". C'est de l'usurpation de "l'éclat de la vertu", la nôtre, qu'il se nourrit. L'Etat absorbe et recycle, telle une machine à broyer, et ce sont les "meilleurs" d'entre nous qui "servent d'appât", comme les produits d'appel dans les têtes de gondole des grands supermarchés, pour tenir ici exceptionnellement le langage marketing...

    Cette mort dont on paie le prix -très cher-, celui de la vie. "L'Etat, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle la vie". Nietzsche reprend à son compte le fameux mot de Voltaire "Écrasez l'infâme" et déclare la guerre sous le nom de morale à ce qui s'emploie à affaiblir l'homme et le pousse à l'autodestruction, à l'abnégation au devoir, à la pénitence et à la rédemption. (...) Ce renoncement, Nietzsche l'appelle suicide organisé et morte lente de tous.
    Dramatique inversion des valeurs, dans laquelle la mort saisit le vif, se substitue à lui et érige l'humanité au rang du règne des "superflus" et de leur triomphe... Hommes paradoxaux "qui acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres"."Voyez donc ces superflus", "ils volent les oeuvres des inventeurs et les trésors des sages". Cela dit, pour en finir avec ce que l'on appelle "culture": elle ne saurait être que le détournement d'oeuvres géniales, ce capital ancestral qui échappe par nature à l'Institution, mis au goût du jour, est réapproprié et forcément dévoyé. Il y a une transformation de ce capital qui le fait dégénérer. La culture serait donc l'effet d'une dégénérescence, elle est en ce sens dénaturation.
    Et si toute éducation est dénaturation, si l'homme est le seul animal auquel viennent s'ajouter ces éléments acquis, tout ce qui fait l'objet d'une tension entre Naturel et Culturel qui contient l'indéniable nécessité d'un abandon de l'instinct au bénéfice d'une culture faite de renoncements, alors cet affaiblissement est appelé "maladie de l'homme" et l'homme est bien cet animal malade...

    Le salut probablement appartient à celui qui possède moins et, par là, est moins possédé: "Bénie soit la petite pauvreté!"
    "Là où finit l'Etat, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu: là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, à nulle autre pareille."

    Autrement dit, toute la sphère politique, avec ses institutions et son Etat, représente par excellence l'affaiblissement de l'homme: nous sommes dans le règne de l'Impersonnel, dans lequel le "travail est la meilleure des polices", pour le dire à la manière de Nietzsche dans son Aurore.

    S'éloigner de l'idolâtrie des superflus et de la "fumée des sacrifices humains" -tant de souffrances inutiles- représente cette chance de salut. Il y a donc, pour les grandes âmes, une possibilité constructive de trouver une existence libre. (...) Autrement dit, n'assurer son pouvoir qu'en soi-même -et le nommer "puissance d'exister"- n'avoir besoin de conquérir d'autre territoire que l'intérieur de soi, et y régner en maître, ne pas tenter d'installer son autorité sur quiconque, car il sera largement suffisant de suivre les contours fluctuants et sûrs de la Vie et de travailler à son expansion.

    Paule Orsoni

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