Chronique des Mondes Emergents

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Chronique des Mondes Emergents

Ce siècle est à la barre et je suis son témoin. Victor Hugo [L'Année terrible (1872)]

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    Lettre à l'inconnue

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    Messages : 123
    Date d'inscription : 12/05/2014

    Lettre à l'inconnue Empty Lettre à l'inconnue

    Message par Admin Lun 9 Juin - 11:09

    #poésie #rencontre #lettreà
    Le virtuel déborde d'un écran trop calme, une inconnue m'aborde et me réclame des mots de beauté et de force, d'optimisme et de joie. Petit exercice de style impromptu.

    Lettre à l'inconnue Img01510

    Chère inconnue,

    J'aurais aimé t'écrire des mots de forêt profonde, de chemins perdus, de lacs entrelacés et de feuilles. Mais la feuille me sert à décrire des horizons flamboyants, des flammèches qui lèchent les vents et embrasent plus qu'embrassent ces horizons crépusculaires où le bois ne sert aux hommes qu'à s'aimer autour de l'âtre.

    J'aurais aimé t'écrire caresse et chevelure mouillée, des bises qui se brisent, des brisures en pagaille dans ma tête où se déchainent mille vents, quand les bourrasques se chevauchent dans mes veines.

    J'aurais aimé t'écrire des mots de silence et de redoux. Et de soleil. Mais à trop regarder ce monde immonde le givre s'empare de mes yeux, et le blanc se fige sur mes tempes.

    J'aurais assez aimé t'écrire amitié sans âme mitée. Mais l'amitié ne se décrète pas, elle se sécrète par le secret, les yeux et les actes.

    J'aurais aimé t'écrire ces caveaux ruisselant de mystères, comme des poches de lumière interdite, où ne s'aventurent pas les adultes.

    J'aurais aimé t'écrire thym, bruyère et fougères, tant qu'il en est encore, sentes et senteurs, chat et château, cabane perdue dans la lande, quelques traces éparses qui s'effacent dans la neige cristalline, des crissements, une porte qui s'ouvre, un foyer qui couve, une louve qui louvoie, un âtre qui claque, quelques étincelles qui explosent comme l'agonie de mille lucioles en une guirlande de roux fauve.

    J'aurais aimé t'écrire ces vins en vain qui chantent ces vents qui dansent.

    J'aurais aimé t'écrire ces horloges oubliées, englouties dans les mares amarrées au printemps et les marais salants, ces rossignols insensés qui s'épuisent à essouffler leurs bulles de bonheur, ces orpailleurs du coeur, manufacturiers de mes nuits absentes.

    J'aurais aimé t'écrire tant de choses encore, l'amour d'une perle de rosée pour le rosé d'une joue d'enfant timide, l'innocence retrouvée dans ce landau qui dort.

    J'aurais aimé tracer en quelques lignes le commencement du monde dans toutes ses potentialités. T'écrire un collier somptueux de fleurs sauvages et d'herbes fraîches, de larmes ouvragées dont chacune serait l'écrin magnifique d'un univers de tous les possibles.

    J'aurais aimé t'écrire des chants sans sang, des brins de rien et de brindilles qui crépitent dans la braise.

    J'aurais aimé t'écrire la fascinante beauté de certaines fleurs fanées.

    J'aurais aimé te croquer ces cœurs juteux  comme des oranges amères, des hirondelles frivoles ou des soleils conquérants.

    J'aurais aimé t'écrire ces phrases sans mot, ces mots sans mort, ces enfants qui nous hantent.

    J'aurais aimé t'écrire ces nuits d'ivresse à trembler devant cette neige épaisse où disparaissent mes espoirs quand la porte se referme.

    J'aurais aimé t'écrire ces serments, ces anathèmes, ces parjures, ces secrets, ces nuées et cette fine buée sur la vitre qui engloutit déjà, à tout jamais, tout ce qui ne s'écrit pas.

    J'aurais aimé t'écrire cette fuite de l'écureuil, ces bruissements dans les branches et ces papillons qui tachent de lumières multicolores le brun et le vert des natures déjà mortes.

    J'aurais aimé t'écrire ce faussaire à l'horloge qui braconne les mots en maraude, et cisèle crimes et rimes pour éblouir passantes et trépassés.

    J'aurais aimé t'écrire île nue sous les vents, nuages blancs, oiseaux chatoyants, cascade de tendresse et de fragrances où je t'aurais laissé la plume d'un oiseau chantant aux levants glissée à côté d'un cahier quadrillé où tout recommencer, tout réinventer, tout découvrir dans une conquête sans sang ni pillage. Mais la mousse de mon bain dessine tant d'univers paisibles, tant de lagunes lascives qui m'appellent à m'oublier.

    Oui, chère inconnue, j'aurais aimé t'écrire tout cela, et tant encore, si j'en avais eu le talent. Mais les mots déciment de leurs vagues courbes quelques rôdeurs en mal de patience. Mais les mots dessinent de quelques traits malhabiles des sillons de lettres plus ou moins fertiles dedans lesquels le lecteur fait jaillir frissons et éclats et derrière ces mille facettes miroitent des nuances veloutées et secrètes. L'auteur sème ses mots sur la page, mais la moisson revient au lecteur.

    Chère inconnue, j'aurais voulu t'écrire tout cela et tant encore, mais dans cette boîte à images que je t'ai bricolée sous le coude à partir de la fumée de mon café et de la nuée de mon cerveau, c'est à toi à assembler tout cela pour disposer d'un monde à ta convenance, dans lequel l'auteur n'a plus sa place. Je t'en ai donné les clefs, à toi maintenant d'entrer. Et de fermer derrière toi.

      La date/heure actuelle est Lun 20 Mai - 2:58